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Universitaires et éditeurs juridiques

mercredi 26 novembre 2003, par Stephane Cottin

La revue de l’ADBS, Documentaliste Sciences de l’information a publié dans son numéro (40) 4-5 d’octobre 2003 un article de Serge Bories, "L’informatisation des données judiciaires et doctrinales. Une contribution à la connaissance et à la recherche juridiques", qui appelle de ma part l’analyse suivante.

(NB : la lecture du texte intégral de l’article est possible en ligne aux abonnés à la revue Documentaliste)


L’article de Serge Bories expose de manière savante (et divertissante) les interactions de l’informatisation des données juridiques avec la science (et la pratique) du droit en général.

Après une analyse historique de l’évolution des techniques, remontant aux pictogrammes et aux tablettes d’argile, l’auteur démontre l’influence inéluctable du support sur la donnée et son usage.

Mais c’est surtout autour de l’expérience menée sous le nom de Jurisdata pour le compte des éditions du Juris-Classeur, que l’auteur de l’article conduit son argumentation, en décortiquant minutieusement les principes mis au point par le Professeur Catala et toute l’équipe de l’Université de Montpellier depuis près de 40 ans.

Cette analyse très détaillée et instructive arrive à la justification de la notion de jurimétrie, appliquée au traitement informatique des quantités énormes de données jurisprudentielles, duement sélectionnées, abstractées et indéxées. Mais l’auteur rappelle que "la quintessence de l’information juridique se trouve sans conteste dans les supports éditoriaux, plus précisément dans le contenu des revues juridiques", remettant ainsi à sa juste place la doctrine comme source du droit.


La deuxième partie de l’article évoque l’actualité du processus d’informatisation des données juridiques, avec notamment la description de Juridice. L’auteur en profite pour poser de nombreuses questions quant à l’utilité, la viabilité et la légitimité du projet consistant, rappelons-le, à constituer une base de données des juges du fond (donc directement concurrente de Jurisdata). Ces questions sont salutaires et doivent être posées, mais je connais de nombreux documentalistes juridiques, professionnels reconnus du traitement de l’information, qui sursauteront à la lecture de celle-ci (surtout dans les colonnes d’une revue éditée par l’association chargée de leur défense et de leur protection) : "Par raison et par tradition, le traitement de l’information juridique et sa médiatisation ne doivent-ils pas rester l’apanage du monde de l’édition juridique en étroite collaboration et avec l’appui du monde universitaire ?"

Le débat quantité/qualité se résoud t-il seulement dans l’alternative exhaustivité/sélection. L’auteur de l’article semble avoir arrêté son avis, en démontrant l’utilité de la sélection, et en rappelant que "cependant, il convient de garder à l’esprit que, sans une sélection de l’information fondée sur des critères qualitatifs, nous assisterions à la création
de fichiers pléthoriques, entraînant inévitablement un nivellement corrélatif de l’information et un lourd déficit de sens".

(Il est aussi cité une formule de Michel Grimaldi, que Serge Bories veut généraliser à tous les professionnels du droit : "Michel Grimaldi, dans une formule qui peut être généralisée à tous les professionnels du droit, écrit, à propos de la profession notariale : « Aussi n’a-t-il guère besoin d’une information massive, mais d’une information significative »" (citation issue de l’exceptionnel numéro de la RTDC "Quelles revues pour le 21e siècle ?" Revue trimestrielle de droit civil, n° 4, octobre-décembre 2002, p. 716)

Et c’est ainsi qu’est incontestablement établi le rôle des éditeurs, producteurs des revues, supports de la doctrine, en liaison directe avec les universitaires, qui doivent assurer cette sélection.


Affirmer ceci, c’est réellement vraiment mal connaître les besoins (et les exigences) d’une partie non négligeable des utilisateurs finaux, qui désirent justement une accessibilité pleine et entière aux données brutes. Que cette sélection soit utile aux universitaires, facilitent la compréhension ou l’apprentissage du droit, c’est évident, mais les avocats, les magistrats, tous les professionnels du droit ont besoin de se reposer sur l’ensemble des sources du droit, d’être sûrs d’avoir accès à l’intégralité des données proposées et non à des résumés, des sélections ou des extraits. Ces utilisateurs ont peut-être tort, cela ne cadre certainement pas avec l’exigence de l’article 5 du Code civil réprimant les arrêts de règlement, cela n’est pas politiquement correct dans le cadre international de soutien du droit écrit contre la common law, mais c’est une réalité professionnelle vécue, et que tous les documentalistes juridiques partagent.


On regrettera aussi que cette néanmoins brillante démonstration ne cite jamais legifrance, et ne traite absolument pas des efforts aboutis du service public de diffusion du droit (traité dans l’article uniquement dans un encadré d’illustration sous son ancien vocable de SPAD, service public d’accès au droit, le réduisant à une mission que l’on sait désormais dépassée). Il faut en effet tenir pour acquis que les pouvoirs publics, principaux producteurs du droit, ont définitivement décidé de "libérer" les données/informations juridiques en leur possession. Le décret n°2002-1064 du 7 août 2002 "créé un service public de la diffusion du droit par l’internet. Ce service a pour objet de faciliter l’accès du public aux textes en vigueur ainsi qu’à la jurisprudence. Il met gratuitement à la disposition du public" une grande partie des données juridiques publiées par l’Etat.

Tout ceci s’inscrit dans un objectif, que le Conseil constitutionnel a reconnu de valeur constitutionnelle, d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi.

Les éditions du Juris-Classeur propose ici une remarquable bibliographie sur le sujet

Il me semble ainsi qu’un aspect assurément non négligeable de l’évolution des mentalités et de la production des données publiques juridiques a été omis dans le raisonnement tenu dans cet article. Le rôle des éditeurs et des universitaires n’en est, pour autant, pas du tout remis en question, ils sont évidemment indispensables à la diffusion du droit, non seulement par la source primaire qu’est la doctrine, mais aussi dans le cadre constitutionnellement reconnu de l’intelligibilité de la loi (sous-entendu, du droit).

Mais il faut reconnaître que les deux autres sources du droit, la norme et la jurisprudence, ont pris le chemin de la plus grande accessibilité, justement en profitant des ressources offertes par les nouvelles technologies, et notamment l’informatisation du droit. Le mouvement de diffusion du droit est en marche, et il a été depuis longtemps reconnu comme un service public par nature, tout comme la construction des routes ou des écoles publiques.


Spécifiquement sur Juridice, on lira avec intérêt :
- Le rapport d’activité 2002 du SDE, service de documentation et d’études de la Cour de cassation

Ainsi la Cour de cassation contribue-t-elle, pour ce qui la concerne, à l’amélioration de l’accès à la jurisprudence. Son action s’inscrit dans le cadre désormais fixé par le décret n°2002-1064 du 7 août 2002 relatif au service public de la diffusion du droit par l’internet qui, abrogeant le décret n°96-481 du 31 mai 1996, a substitué au régime de la concession celui de la mise à la disposition gratuite des textes et de la jurisprudence.

Il reste qu’en l’état, l’offre de jurisprudence des juridictions du fond contenue dans la base JURIDICE demeure particulièrement modeste et affecte sérieusement la portée des progrès enregistrés dans l’accès au droit. Cette lacune contrarie par ailleurs les efforts accomplis pour rationaliser le traitement des contentieux et dégager une véritable politique jurisprudentielle à partir de la maîtrise qualitative et quantitative des contentieux.

Il est urgent de tirer le bénéfice des évolutions technologiques dans l’organisation de la collecte de ces décisions pour en assurer la diffusion après réalisation des enrichissements (titrage et sommaire) indispensables à leur classement. Conformément à sa vocation et aux missions qu’énonce le Code de l’organisation judiciaire (article R.131-6) qui lui fait obligation de collecter les "décisions les plus importantes" rendues par les juridictions du fond, le Service de documentation et d’études de la Cour de cassation est prêt à s’investir dans le développement d’un véritable pôle de jurisprudence judiciaire.

- La communication d’Emmanuel de Givry, directeur du SDE, sur Sur la nécessaire évolution des publications du Service de documentation et d’études de la Cour de cassation

- Celle d’Yves Rabineau sur la diffusion de la jurisprudence des cours d’appel et des tribunaux

- Celle de Guy Canivet, Premier Président sur l’ouverture et contenu de la rubrique Cour de cassation du RPVJ

- Celle de David Senat, La base de jurisprudence des cours d’appel et tribunaux de grande instance (JURIDICE) Etat et perspectives au 20 septembre 2001, et la communication de Vincent Lamanda, Premier Président de la CA Versailles sur la méthode de constitution de la base

- Le Bulletin officiel de la Justice : la circulaire du 27 mars 2000 relative à la Base de données relative à la jurisprudence des cours et tribunaux. NOTE SJ 2000-69 B/27-03-2000.

1 Message

  • > Universitaires et éditeurs juridiques Le 26 novembre 2003 à 15:25, par Emmanuel Barthe

    L’accès à des sources juridiques brutes et exhaustives est devenu crucial et normal. Bien peu d’acteurs du monde juridique français auraient réellement envie de de retourner au 19e siècle.

    Pour le montrer, je voudrais rappeler deux arguments à ajouter à ceux ci-dessus :

    - Je suis documentaliste en cabinet d’avocats. Quand les avocats sont d’accord avec la Cour de cassation, ils préfèrent très logiquement — et s’en contentent — les arrêts publiés au Bulletin (sélectionnés, ils représentent environ 5% de la masse). En revanche, quand ils aimeraient bien faire évoluer la jurisprudence, les inédits retrouvent tout leur attrait.

    Or, d’où viennent les revirements et évolutions de la JP de la Cour de cassation ? Ma petite idée est qu’ils viennent certes de la doctrine que les juges lisent, mais aussi, vu que les juges sont débordés et ont peu le temps de lire, ... des conclusions des avocats. Conclusions nourries de doctrine et ... d’arrêts inédits de la Cass’ ou de décisions rebelles des CA. Des arrêts qu’on ne trouve que ... dans les bases de données exhaustives. Vive donc Lamy, Legifrance et Lexbase !

    - Les éditeurs juridiques privés eux-mêmes produisent et vendent des bases de données exhaustives de sources brutes. Lamy fut un précurseur, notamment avec les arrêts inédits de la Cass’ et persiste et signe avec la Bibliothèque Sources de Lamyline Reflex. Juripro fait de même. Francis Lefebvre cite quotidiennement des arrêts inédits en droit social et en droit fiscal. Lexbase publie en ligne la cour d’appel de Paris. Legifrance n’est donc ni le premier ni le seul...

    Conclusion : il faut de tout pour faire un monde moderne, il faut de la sélection ET de l’exhaustif.

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